Le Conseil Communal de Differdange s’apprête à donner le nom d’Amália Rodrigues à une des rues de la ville. Un tel hommage me rend heureux. Les portugais représentent quand-même un tiers de la population de la commune. Ceci fait de Differdange la commune où la communauté portugaise a la deuxième plus importante présence au Grand-Duché, après Larochette.
Néanmoins il y a deux petites remarques que ne peux pas m’empêcher de faire : Une d’une nature plutôt historique et l’autre dans un domaine culturel.
S’il est vrai que personne n’a jamais chanté le Fado comme Amália, il est également vrai qu’elle était malgré ses convictions politiques, un des trois F, ou drapeaux, du régime fasciste de Salazar : Fado, Futebol (football) et Fátima (sanctuaire catholique). D’ailleurs le dictionnaire portugais nous dit pour le Fado qu’il est, au-delà du style musical : le destin, la chance, ou la fortune, cette « puissance mystérieuse qui est censée fixer aux êtres humains leur sort » (Dictionnaire Larousse). Or, les portugais qui sont venus au Luxembourg ont justement émigré pour s’échapper à cette fortune maudite qu’était la dictature. Une dictature qui a envoyé une moitié de ses jeunes mourir en Afrique dans une guerre colonial hors-de-temps et incité l’autre à laisser derrière eux leur pays natal et partir vers le monde. Entre 1957 et 1974, plus d’un million de portugais ont quitté le pays. Leur pays.
Bien sûr, le Fado fait partie du patrimoine immatérielle de l’humanité. Mais c’est aussi le Cante typique de la région de l’Alentejo. Mais de ceci, personne n’en parle. Qui dit portugais au Luxembourg dit Fado. Fado et sardinhas. (Je pourrais dire aussi qu’il dit femme de ménage et maçon. Mais je m’en passe.)
Le portugais est beaucoup plus que ça. La plus grande création du Portugal, c’est sa langue. Une langue qui est parlée dans les 4 coins du monde. Une langue qui est parlée par sûrement un quart de la population du Grand-Duché. C’était en reconnaissance de cela que le Luxembourg a rejoint la Communauté des Pays de Langue Portugaise en tant que membre observateur. Même le Fado ne serait rien sans la langue. Cependant, tandis que le Fado se focalise sur la misère et la fortune, la mauvaise fortune, de la vie quotidienne, la langue est beaucoup plus vaste.
En 2019, Sophia de Mello Breyner Anderson aurait fêté ses 100 ans. Née à Porto le 6 Novembre, fille d’une famille aristocrate, Sophia a, néanmoins, très vite compris le charactère oppressif du régime fasciste de Salazar. Pendant sa carrière, Sophie a traduit des auteurs comme Shakespeare, écrit des romans, de la poésie, et a même fait son chemin dans les livres pour enfants. Nous pouvons trouver toute la langue portugaise chez Sophia.
Peu après la Révolution des Œillets elle a écrit de ce jour où, tôt le matin, un groupe d’Hommes a affronté le régime pour terminer la nuit fasciste de 48 ans :
C’est celle-ci l’aube dont je m’attendais
Le jour premier entier et dégagé
Où nous émergeons de la nuit et du silence
Et libres nous habitons la substance du temps
(Sophia de Mello Breyner)
Faisons d’une rue à Differdange le point de départ pour cette ouverture. Pour qu’un jour le portugais au Luxembourg ne soit plus synonyme exclusivement du Fado et des sardinhas. Parce que nous sommes déjà beaucoup plus que femmes de ménage et maçons.
La rue « portugaise » à Differdange devrait s’appeler Avenue Sophia de Mello Breyner Anderson ; 1919 – 2004 ; poétesse portugaise ; femme.
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