Quel futur pour le Conseil National des Étrangers

La loi

Le Conseil National pour Étrangers (CNE) a été créé en 1993 par la loi portant sur l’intégration des étrangers. La loi, révisée en 2008, établit que le CNE « est un organe consultatif chargé d’étudier, soit de sa propre initiative, soit à la demande du Gouvernement les problèmes concernant les étrangers et leur intégration ». Cette formulation est la même dans la loi de 1993 et dans celle de 2008.

Allant un peu hors de thème, cette formulation est, dans son contenu, la même qui a créé le Conseil Economique et Social : le CES « est un organe consultatif qui étudie à la demande du Gouvernement ou de sa propre initiative les problèmes économiques, sociaux et financiers intéressant plusieurs secteurs économiques ou l’ensemble de l’économie nationale ».

Mais la similarité se termine ici. Prenons les dotations budgétaires. Le CNE a été attribué un total de quinze mille euros (15.000€), tandis que le CES se voit attribuer plus d’un million d’euros (1.107.443€). C’est une relation de 1 à 74. Sans vouloir comparer ni la taille ni la complexité de l’activité des deux organisations, l’écart entre les deux valeurs démontre l’importance que le gouvernement (qui propose le budget) et la chambre (que l’approuve), ainsi que les partis y présents, attribuent au CNE.

Le CNE aujourd’hui

Le CNE, dans sa composition actuelle, comprend 22 membres élus (3 nationaux portugais, 2 français, 1 italien, 1 belge, 1 allemand, 1 britannique, 1 néerlandais, 5 membres d’autres pays de l’UE, 7 membres du reste du monde) et 1 représentant des réfugiés, 1 du SYVICOL, 4 des organisations patronales (actuellement un de chacune des suivantes : Union Luxembourgeoise des Entreprises Luxembourgeoise, Confédération Luxembourgeoise du Commerce, Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois, et Chambre des Métiers), 4 des organisations syndicales les plus représentatives (dans ce CNE : 1 LCGB, 2 OGBL et 1 CGPF) et deux représentants de la société civile. Tous ses membres ont le droit de vote. Chacun de ses membres à un suppléant « personnel » – c.à.d. si un des élus portugais abandonne le CNE et se fait remplacer par son suppléant il ne reste personne pour remplacer celui-ci, amputant ainsi le Conseil d’un membre avec un possible impacte négatif dans son quorum.

Lors de sa réponse à la question parlementaire 3312 par Marc Angel, le 10 octobre 2017, Mme le Ministre Corinne Cahen annonce qu’elle « envisage de saisir le CNE (…) d’un travail de réflexion sur les éventuels changements à prévoir ». Le 1erfévrier 2018, en réponse à David Wagner (QP 3547) Mme le Ministre renforce sa volonté de saisir « le CNE d’une réflexion sur ses missions et sur son mode de fonctionnement ». Dans la même réponse il est annoncé que « le CNE a été doté d’un budget de fonctionnement ». Plus tard, après avoir été questionnée par Mme Martine Hansen (QP 3929), Mme Cahen confirme que « [lors] de la réunion plénière du 28 février 2018, à laquelle [elle a] assisté, [Mme le ministre a] demandé au CNE de mener une réflexion sur ses missions et sur son mode de fonctionnement ». Mme le Ministre rajoute que « ces réflexions sont actuellement en cours », sachant qu’il faut plus qu’une affirmation politique pour produire un fait.

Les enjeux

Le CNE demeure le seul organe dédié à défendre les intérêts des étrangers au Luxembourg. N’ayant pas accès à la Chambre des Députés, les étrangers ne peuvent compter que sur le CNE pour faire valoir sa voix au niveau institutionnel. Cela dit, il faut noter que la Constitution luxembourgeoise nous établit que « [la] Chambre des Députés représente le pays », et, par conséquence, tous ses citoyens. Ce n’est donc pas du ressort du CNE de représenter les étrangers.

Le rôle du CNE est d’aviser le gouvernement dès que saisi mais aussi de « présenter (…) toute proposition qu’il juge utile à l’amélioration de la situation des étrangers et de leur famille ». Il en ressort que ne les représentant pas, rôle exclusif de la Chambre, le CNE doit quand même rester lié aux étrangers. Il est « un organe consultatif essentiel pour accompagner le Gouvernement dans ses réflexions et ses efforts pour ses doter d’instruments afin de faciliter l’intégration des ressortissants étrangers dans la société luxembourgeoise » (Mme Cahen, réponse QP 3547).

Sans considérer le CNE, la défense des intérêts des étrangers se fait, de façon plus ou moins atomisé, par ses organisations civiques. La comptabilisation de tous les « associations des étrangers régulièrement constituées et ayant une activité sociale, culturelle ou sportive ainsi que des associations œuvrant, à titre principal, en faveur des étrangers » est une tâche impossible, mais nous pouvons, avec toute sécurité, les estimer à quelques centaines. La représentation des intérêts des étrangers au-delà de la Chambre, comme pour n’importe quel groupe social, se fait, spontanément, par sa liberté d’association et d’organisation. Promouvoir le CNE comme un représentant des étrangers c’est mettre en question, d’abord la Constitution luxembourgeoise et, par conséquence, la Chambre, mais aussi le droit fondamental dont « [t]oute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques », et à aspirer à ce que ce droit soit conséquent.

Le futur

En ce qui concerne la réflexion sur le fonctionnement du CNE, il y a quelques avant-propos à tenir en compte, notamment sur quel est le rôle du CNE, sa composition, qui l’élit et comment l’élire.

Le Conseil National pour Étrangers doit être un confédérateur des enjeux des étrangers organisés de façon volontaire et autonome dans ces mouvements civiques, et les faire valoir auprès du gouvernement dans le cadre des institutions gouvernementales du Grand-Duché.

L’exigence de ne pas avoir la nationalité luxembourgeoise pour être élu au CNE était introduite avec la loi de 1993 – qui a aussi ‘converti’ le Conseil National de l’Immigration en Conseil National pour Étrangers. Cette conversion est explicitée, dans l’exposé de motifs du projet de loi débouchant dans la loi de 1993 sur l’intégration des étrangers, dans un chapitre intitulée « Amélioration des voies consultatives pour étrangers ». Il est subjacent le désir de donner une voie pour la défense des intérêts de ceux qui n’ont pas d’autre façon de s’exprimer officiellement auprès du gouvernement. Revenir en arrière sur ce point serait une décision à l’encontre de la réalité migratoire et frontalière au Luxembourg. Il faut creuser plus profondément dans cette direction et aller jusqu’au point de prévoir que des frontaliers puissent aussi être présents au CNE.

Dans le même texte mentionné au paragraphe antérieur nous pouvons lire que « le service d’immigration a (…) peu de contacts avec les associations d’étrangers ». Ce constat a été à l’origine du choix de charger ces associations avec l’élection des ressortissants étrangers siégeant au CNE. Ceux présents dans la 1èreRencontre entre le CNE et les associations le 24 novembre 2018 ont peut entendre, entre autres, des plaintes sur la difficulté d’accès des associations des étrangers aux institutions officielles. Cette plainte est, d’ailleurs, bien connue par tous ceux immergés dans le monde associatif des étrangers. La solution, comme suggéré plus haut, de voir dans le CNE (aussi) une sorte de confédération des enjeux des étrangers est en ligne avec le souhait « d’une revalorisation de la vie associative des étrangers » et « [d]’établir, par ce biais, un contact entre [le CNE] et les associations d’étrangers ».

L’argument contre le suffrage direct

Parmi les idées qui sont récemment devenues publiques sur le futur du CNE il y a une qui attire beaucoup d’attention : l’élection par suffrage universel des étrangers. L’idée d’un suffrage universel parmi les étrangers (certains y rajoutent ceux inscrits sur les listes électorales aux communales) est intéressante. Ça donnerait une vraie représentativité aux étrangers. Sauf que, cette pratique (1) serait contraire à l’esprit de tout le processus créateur du CNE et (2) aiderait à promouvoir le déficit démocratique au Luxembourg : c’est pour la chambre que les étrangers doivent voter pour se faire représenter et non pas pour un organe qui n’a qu’un rôle consultatif et est, visiblement, méprisé par la structure administrative et politique à laquelle il est attaché.

Mais, supposons que oui, que l’élection du CNE se fasse désormais par le vote universel des étrangers. La question qui s’impose est : qui seront alors les candidats ? Dans le modèle actuel tout résident étranger peut se porter candidat. Avec le suffrage universel un candidat désirant d’être élu, ce qui semble être tout à fait un désir normal, devrait conduire une campagne électorale dans tout le pays. La division du territoire en circonscriptions ne serait jamais compatible avec un organe si petit que le CNE.

Qui alors peut se permettre cette extravagance ? Les seuls candidats possibles seront ceux sortis des rangs des partis ou des syndicats. Une candidature nationale nécessite une campagne nationale, avec les coûts et la complexité associés. Or, il est de fait que les partis ont déjà leur représentation à la Chambre des Députés et les syndicats à la Chambre des Salariés. Un suffrage universel est le déni du principe fondamental du CNE : donner une voix aux enjeux de ceux qui n’en ont pas d’autre façon.

Le résultat final serait d’avoir un CNE dont le débat ne serait plus qu’une chambre de résonance du parlement national.