Honorables membres de la Commission de la Famille et de l’Intégration,
Je me permets de vous écrire en ma qualité de membre effectif du Conseil National pour Étrangers, ci-après le CNE.
Le CNE est « un organe consultatif chargé d’étudier, soit de sa propre initiative, soit à la demande du Gouvernement les problèmes concernant les étrangers et leur intégration »[1]. Les missions du CNE sont :
- donner des avis sur « tous les projets que le Gouvernement juge utile de lui soumettre » ;
- « présenter au Gouvernement toute proposition qu’il juge utile à l’amélioration de la situation des étrangers et de leur famille » ;
- produire « un rapport annuel sur l’intégration des étrangers au Luxembourg ».
Au-delà de ces compétences la loi précise quelques conditions d’organisation et de fonctionnement du CNE, entre autres :
- « [un] fonctionnaire ou un employé de l’OLAI assume les fonctions de secrétaire » ;
- « [les] membres du conseil sont libérés de leur travail pour participer aux réunions du conseil avec compensation d’une éventuelle perte de salaire à fixer par le Gouvernement en conseil » ;
- les détails de fonctionnement interne « seront [déterminés] par un règlement d’ordre intérieur qui sera transmis pour approbation au ministre », y compris « les modalités de remplacement des membres ».
- « [le] mandat individuel d’un représentant des étrangers prend fin (…) dès qu’il acquiert la nationalité luxembourgeoise » ;
Il y a d’autres documents législatifs qui attribuent des compétences au CNE. À titre d’exemple, le CNE a le droit de participer au comité consultatif de l’Institut National de Langues – INL et à l’assemblée consultative de l’Autorité Luxembourgeoise Indépendante de l’Audiovisuel – ALIA.
Depuis son élection, le 8 juillet 2017, le CNE s’est réuni pour la première fois en assemblée plénière le 23 janvier 2018, soit 6 mois après l’élection. Par la suite, le CNE s’est réuni en plénière 13 fois au total. Parmi ces 13 fois l’une des réunions était extraordinaire, pour recevoir le ministre, le 12 février 2019.
Entre cette première réunion plénière et aujourd’hui, le CNE a vu démissionner, par ordre chronologique :
- en octobre 2018, un rapporteur de commission (qui est redevenu membre « simple » du CNE) ;
- en novembre 2018 un membre effectif (qui a quitté le CNE) ;
- en décembre 2018, un vice-président (qui est redevenu membre « simple » du CNE).
Ces trois démissions évoquent le mauvais fonctionnement du CNE. Un bon nombre de membres ont, entretemps, abandonné de façon permanente leur mandat au sein du CNE sans jamais le communiquer. Quant à ces trois démissions mentionnées il est à noter que :
- le remplaçant du rapporteur de ladite commission n’a jamais été élu ;
- le remplaçant du membre qui a quitté le CNE est apparu, sans aucune notice aux membres, en février 2019 ;
- le nouveau vice-président n’a été élu qu’en mai 2018.
Conditions d’organisation et fonctionnement
La fonction de secrétaire
Les attributions pour la fonction de secrétaire du CNE ne sont pas établies dans la loi. Les services accomplis par ce secrétaire sont, pour le moment :
- Rédiger un compte-rendu minimaliste des réunions plénières du CNE. Ce compte-rendu ne contient que des résultats finaux des discussions (souvent un rapport numérique d’une votation). Les noms des membres présents à l’ouverture de la séance n’y sont pas mentionnés, de même qu’une synthèse des discussions et prises de position des membres. En ce qui concerne le relevé des participants et des discussions, une exception a été faite pour l’intervention de la ministre dans la plénière du 12 février 2019. Néanmoins aucune autre participation n’a été prise en compte dans la proposition de compte-rendu de cette réunion.
- Faire suivre la correspondance entrante et sortante.
Excuse du travail pour participer aux réunions du CNE
Le régime d’excuse du lieu de travail et la compensation conséquente ne sont pas réglementés.
ROI – Règlement d’ordre intérieur
Malgré son approbation en réunion plénière du CNE, le 24 avril 2018, le ROI n’a jamais été publié dans le Mémorial. Il semble que le dernier ROI du CNE à avoir été publié était celui de 2003, malgré l’approbation le 18 avril 2013 d’une version ultérieure de ce document.
La plénière n’est pas au courant des raisons de ce retard. Mais il en ressort que sans cette publication, le dernier ROI publié n’est pas compatible avec la loi de 2008. Ceci pose un problème, notamment, dans le remplacement des membres ayant quitté le CNE.
Acquisition de la nationalité luxembourgeoise
Il semblerait qu’il y ait des membres du CNE ayant la nationalité luxembourgeoise. L’absence d’une procédure permettant de confirmer cela et de procéder au remplacement de ces membres, risque de placer le CNE dans une situation d’illégalité. Cette illégalité peut entamer soit la nullité légale du travail produit par le CNE soit l’invalidité des dépenses de budget effectuées dans le cadre du CNE.
Participation à d’autres organes/organisations
La plénière du CNE n’est pas au courant des organes ou organisations auxquelles le CNE a le droit de siéger. Le CNE a nommé son représentant chez ALIA dans sa plénière du 26 septembre 2018, ceci suite à la demande expresse de la part de l’ALIA– personne n’était au courant de cette représentation. Dans cette même réunion plénière, la présidence a été alertée du fait que le CNE peut (doit ?) aussi se faire représenter auprès de l’INL et qu’il faudrait savoir quels sont les autres droits, voire obligations, du CNE.
Défaillances fonctionnelles au sein du CNE
La nature volontaire du CNE, constitué par des membres, en ce qui concerne sa partie élue, de la société civile (et non pas par des professionnels du secteur tel que pour le Conseil Économique et Social), rend son fonctionnement potentiellement défaillant. Un mandat de 5 ans où tous les membres, qui pour la grande majorité ne se connaissent pas entre eux, sont appelés, dès les premiers jours à participer, entre autres, à (i) l’élection d’un président et vice-président, (ii) la constitution de commissions et nomination de ces rapporteurs, (iii) la rédaction d’un règlement d’ordre intérieur, et tout cela sans un soutien technique, est destiné à échouer. Nous l’avons vu avec le mandat précédent et nous commençons à le voir dans le mandat en cours.
Tout d’abord cette séparation entre un mandat et l’autre oblige à tout redémarrer à chaque fois. Il en résulte, dû au besoin de tout mettre en marche, une concentration des pouvoirs inouïe dans les mains de la présidence, et ouvre la porte à des décisions « à la carte » sans égard aux procédures légales et démocratiques.
Je me permets de vous exposer par la suite trois cas où le CNE a fonctionné de façon douteuse et indésirable pour un tel organe.
Remplacement de Mme DRECHSLER, membre démissionné en octobre 2018
Les résultats de l’élection du 8 juillet 2017 pour les membres de nationalité française ont été, pour le 7 candidats le plus votés, comme suit :
- Mme Claire GEIER-COURQUIN — 24 voix
- M Jean-Pierre PIERSANTI — 16 voix
- Mme Valerie DRECHSLER — 16 voix
- Mme Christine HUGON — 14 voix
- M Daniel CEGLARSKI — 11 voix
- Mme Marie IACOVELLA — 11 voix
- Mme Karima HAMMOUCHE — 10 voix
Le groupe français du CNE se compose de deux élus[2]. Par tirage au sort M. PIERSANTI a été nommé membre du CNE et Mme DRESCHSLER a été nommée son suppléant. Il ressort de la loi qu’à chaque membre (dit membre effectif) du CNE est assigné un suppléant « personnel ». La liste de membres du CNE datée du 19 janvier 2018 distribuée par son secrétaire assigne Mme DRECHSLER comme suppléant de Mme GEIER-COURQUIN, et Mme HUGON comme suppléant de M. PIERSANTI.
Quand M. PIERSANTI a démissionné Mme DRECHSLER a en effet été appelée à le remplacer. Et Mme HUGON est devenue la suppléante de Mme GEIER-COURQUIN. La plénière a appris ces changements au moment où Mme DRECHSLER a siégé dans sa première plénière comme membre effectif. Le tout a été décidé, semble-t-il (veuillez excuser le manque d’informations plus précises), entre le groupe des représentants français, la présidence et les services de l’OLAI.
Mme DRECHSLER donne sa démission et sa place reste, donc, vide. La plénière apprend que M. CEGLARSKI a été appelé à remplir la place vide quand le secrétaire du CNE fait distribuer une lettre signée par lui en tant que membre effectif aux membres du CNE.
Plus tard, ceci peut être vérifié en consultant les feuilles de présence signées (à noter que ces feuilles ne sont pas attachées au compte-rendu de chaque séance et les noms de ceux y participant n’y figurent pas), M. CEGLARSKI est suppléant de personne. C’est-à-dire, le nom de M. CEGLARSKI apparaît dans la colonne des suppléants sans qu’il n’y ait personne dans la colonne des membres.
Quand la procédure d’appel aux candidats pour le poste de vice-président est ouverte la plénière du CNE apprend, par le moyen d’une liste des membres envoyées le 6 mai 2019, que Mme HUGON est devenue membre effectif et M. CEGLARSKI son suppléant.
Il se pose la question de savoir qui a coordonné et validé la légalité de toute cette procédure. Aussi, il faudrait expliquer pourquoi M. CEGLARSKI a été préféré à Mme IACOVELLA, vu que les deux avaient recueilli le même nombre de voix.
Élection du deuxième vice-président
Le 22 mai 2019, la plénière a procédé à l’élection du vice-président du CNE. La séance était prévue pour 18h30. Le quorum a été atteint vers 19h03, et ceci au travers la participation de M. Shaohui ZHANG par appel téléphonique. Le vote secret, a eu lieu alors que M. ZHANG assurait sa participation par téléphone ; il n’a déposé son vote qu’après son arrivée, plus d’une demi-heure plus tard, au lieu où la plénière se déroulait.
Mme HUGON était la seule candidate au poste de vice-président. L’élection a eu le résultat de 13 votes pour Mme HUGON, et 5 votes blancs. L’élection a néanmoins été validée par les services de l’OLAI malgré que la loi du 16 décembre 2008 établit que « le vice-président du conseil est élu à la majorité des membres ».
Le CNE face à son avenir
Le 12 février 2019, le ministre de l’Intégration demande au CNE de produire, avant Pâques, une réflexion sur son avenir. Qu’est-ce que le CNE désire devenir ? Avec quelles missions ? Avec quelle composition ? Il est à noter qu’il ne s’agit que là de la deuxième demande gouvernementale au CNE depuis le début de son mandat.
Un groupe de travail issue de la plénière a présenté une proposition de document à envoyer au ministre pour consultation aux membres en temps utile avant la réunion du CNE du 3 avril 2019. Cette proposition, contrairement ce qui a été stipulé par l’ordre du jour approuvé en début de réunion, n’a pas été soumise au vote. Le document est renvoyé au groupe de travail sans mandat d’action spécifique.
Plus tard le bureau du CNE a pris le dossier en charge, ignorant le texte présenté lors de la plénière du 3 avril, ainsi que toutes les contributions envoyées par plusieurs membres et une séance de débat de 4 heures. Le travail s’est poursuivi sur base d’une proposition d’une seule contribution, qui plus est, antérieure au débat du groupe de travail.
Le résultat a été présenté et discuté dans la plénière du 22 mai. Le document a été discuté mais n’a pas été voté en tant que « document entier ». Il a, néanmoins, été envoyé au ministre.
Le rapport annuel sur l’intégration
Au vu de ce qui est décrit ci-dessus, le CNE n’est pas en mesure de produire ce rapport, ni même de commencer à se pencher sur le sujet. Cette situation est d’autant plus difficile qu’aucune des CCCI ne respectent pas leur obligation légale de faire parvenir leurs rapports d’activités au CNE.
Honorables Députés,
Le Conseil National pour Étrangers est le seul organe officiel censé véhiculer les intérêts des étrangers. Certains de ses défauts sont attribuables à ses membres, mais d’autres sont visiblement liés à un manque de soutien technique de la part de l’État.
Au nom de la transparence de l’organe qui agit au nom de près de la moitié des résidents, auxquels il faut rajouter les frontaliers, il est temps d’agir. Il faut doter le CNE de moyens techniques adéquats à sa mission. Il faut aussi, au vu la nature de sa composition non professionnelle, accompagner les travaux du CNE. Cet accompagnement devrait veiller à ce que les décisions prises, soit par la plénière, soit par les organes internes du CNE, soient respectées et mises en œuvre, et que ces décisions répondent aux dispositions légales en vigueur.
Des procédures respectant la loi et le processus démocratique sont indispensables pour valoriser les travaux du CNE. Un soutien capable de veiller au respect de ces procédures est tout à fait possible dans le cadre légal actuel. Ce n’est qu’avec un CNE pleinement fonctionnel que ce dernier pourra accomplir sa mission d’aviser le gouvernement et de respecter le mandat qui lui a été confié par les associations des étrangers – agents de l’organisation spontané de toute une masse dont les intérêts autrement ne seront pas représentés de façon officielle et concertée auprès les structures de l’état.
Pour ma part, je demeure à votre disposition pour tout renseignement complémentaire souhaité par la Chambre.
Veuillez agréer, Honorables Députés, l’expression de mes sentiments respectueux,
Mario LOBO
26 Juillet 2019
[1] Loi du 16 décembre 2008 concernant l’accueil et l’intégration des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg
http://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/2008/12/16/n5/jo
[2] Règlement grand-ducal du 15 novembre 2011 portant détermination des modalités de désignation des représentants des étrangers au Conseil national pour étrangers, ainsi que leur répartition par nationalités
http://legilux.public.lu/eli/etat/leg/rgd/2011/11/15/n1/jo