L’étranger

Il était fin avril 1971 quand Sérgio Godinho enregistrait son premier album. Exilé en France pour échapper l’anachronique guerre coloniale que la dictature portugaise mené en Afrique, le chanteur portugais jouissait de la compagnie de des milliers de portugais eux aussi rechapés du régime fascisme mené par Marcello Caetano, héritier de António Salazar.

Nous pourrions dire que la première chanson de ce disque était écrite pour le Luxembourg d’aujourd’hui. Elle démarre comme ça :

Je t’ai vu travailler la journée entière
en train de bâtir les villes pour les autres
ramasser des pierres, gaspillant
trop de force pour si peu d’argent
je t’ai vu travailler la journée entière
trop de force pour si peu d’argent

C’est celle-ci la vie dans le secteur du bâtiment et artisanat. Un secteur qu’en 2018 était, selon la Chambre des Métiers[1], constitué 85% d’étrangers. Plus que la moitié de cette masse humaine habite au-delà des frontières du pays. C’est-à-dire que moins d’un sur 6 travailleurs de ce secteur ont le droit de vote. Donc, d’influencer le choix des politiciens qui font les règles qu’ils sont obligés à suivre dans leur travail.

Parmi ces règles il a celle communiqué par M le premier ministre dans sa conférence de presse conjointe avec la ministre de la santé du 14 avril, mercredi dernier. Avec la solennité demandée par le moment, le chef de gouvernement communique au pays, dans sa langue native, comme il l’a fait depuis du début de cette crise – soigneusement et exclusivement dans sa langue native, que le secteur du bâtiment et de l’artisanat irait redémarrer l’activité dès lundi 20 avril.

Mais Sérgio continue :

Que force est celle-là
que t’as dans tes bras
que ne te sert qu’à obéir
que force est celle-là, ami
que te mets de bien avec les autres
et de mal avec toi-même

Des travailleurs du secteur 34% sont des étrangers résidents et un peu plus que un sur deux, 51%, sont des frontaliers. La moitié de ces frontaliers résidents en France, et l’autre moitié en Allemagne et en Belgique – un peu plus en Allemagne. Il est crédible de dire que 75% de ces travailleurs ne parlent pas la langue de Dicks et Rodange. Et même considérant cette réalité, pas un mot dans une langue compréhensible par ceux-ci, ces presque 70 mil travailleurs (chiffres 2018).

La situation de la pandémie du coronavirus dans nos voisins belges semble bien incontrôlable. La Belgique présente à ce moment une moyenne journalière sur les derniers 7 jours (8 à 14 avril) de 27.1 décès par million d’habitants liés au coronavirus. L’Italie et l’Espagne dans ses pires moments enregistraient, respectivement, 13.6 (pour le 3 avril) et 18.5 (5 avril) – la Belgique a, pourtant en ce moment, pratiquement autant de décès par habitant que l’Espagne et l’Italie ensemble dans leur pire moment.

Dans cette même conférence de presse le journaliste du Tagblatt demande s’il est prévu d’au moins mesurer la température des travailleurs avant le travail. Mme la ministre répond que, faisant fois à l’interprétation en directe par les soins du gouvernement, « il suffit qu’on prenne un paracétamol le matin pour une autre raison que ceci puisse donner des fausses indications »[2]. Il sera, donc, suffisant qu’un travailler triche, même qu’il ne le fasse pas avec cette intention, sur ses symptômes pour inutiliser toute une stratégie. Cette stratégie de mesurer systématiquement la température est toujours utilisé dans des pays de l’extrême orient qui semblent de bien maitriser la situation. Les travailleurs ont peur, comme tout le monde. Ils sont obligés à se présenter au travail. Il n’y a pas de télétravail pour le bâtiment.

Ne me dis pas que tu ne me comprends pas
quand les jours tournent au vinaigre
ne me dis pas que tu ne t’es jamais senti
une force pour se développer sur vos doigts
et la colère monte entre tes dents
Ne me dis pas que tu ne me comprends pas

Nous obligeons, donc, des des travailleurs avec des bas salaires à se présenter pour nourrir un business dont les prix de vente ont augmenté de 11% entre 2018 et 2019[3]. Un « Guide de préconisations de sécurité sanitaire » que fera sa parution bientôt détermine qu’un travailleur « qui vit dans le même foyer qu’une personne testée positive au Covid-19 doit se mettre en auto-quarantaine à domicile pendant 7 jours » sans préciser sur la rémunération. Mais même que cette quarantaine soit considéré comme un arrêt maladie il faut bien considérer la perte salariale et l’impact, voir perte totale, dans la prime de fin d’année. Pas de dépistage régulière de symptômes prévu dans ce guide.

J’espère vraiment que cette décision, dont nous avons déjà compris qui était prise un peu à l’aveugle, peut-être sous pression du multimillionnaire secteur de la construction, soit bien pondéré et pas seulement utiliser les étrangers comme cochons de l’inde pour des expériences de contamination.

Les Travailleurs du Luxembourg méritent plus.

Les Étrangers du Luxembourg méritent autant.

Mário LOBO

(Membre élu du Conseil National pour Étrangers)


[1] https://www.cdm.lu/artisanat/chiffres-et-statistiques

[2] https://youtu.be/PX_PZoQN2YA?t=3850

[3] https://lequotidien.lu/economie/luxembourg-114-sur-un-an-linarretable-flambee-de-limmobilier/