Contribution loi intégration

Ce texte a été écrit dans le cadre des débats pour la nouvelle loi de l’intégration au Luxembourg, suite à une demande de Mme le Ministre Corine Cahen adressé à quelques associations et, individuellement, aux membres du CNE.

Avant de passer au sujet je dois, quand-même, faire une remarque pertinente. J’ai été contacté en tant qu’individu, quoique membre d’un organe consultatif, le seul organe officiel chargé de représenter la voix et les besoins des étrangers au Luxembourg. Un organe, composé dans sa majorité de bénévoles, qui a été victime d’un abandon presque total du ministère que vous représentez pour le ressort de l’intégration. Je reviendrai au sujet plus-bas.

Il est impératif, surtout maintenant que l’impasse de la démission de la présidence semble surmontable, d’inclure le CNE en tant qu’organe dans toutes les phases de ce processus. Comme le pourra confirmer Mme le Ministre, le CNE a démontré, pendant sa présence dans la plénière du CNE le 25 février 2019, qu’il sait se concerter autour d’une position commune. Ainsi il a également réussi à trouver une position commune sur son propre avenir, un groupe de travail que j’ai eu l’honneur de coordonner, tout comme celui de préparation pour la réunion mentionnée en haut, qui a produit un travail consensuel, ouvert à toute participation. Cette procédure a été, malheureusement, avorté par l’ancien président du CNE. Ce qui a par ailleurs déclenché toute une consultation qui a mené à la démission d’une vice-présidente. Espérons que le CNE puisse redémarrer pour terminer le mandat qui lui a été attribué par les associations œuvrant en faveur de l’intégration des étrangers. Cette fois-ci, comme discuté lors de la réunion plénière du CNE à laquelle vous avez assisté en tant que secrétaire, avec un soutien conséquent et digne de l’importance d’un organe qui, bien ou mal, parle au nom de la moitié des résidents et des trois quarts des travailleurs de ce pays.

Mais, revenons à nos moutons.

Le Grand-Duché du Luxembourg a fait, à un certain moment, le choix de baser son modèle économique sur une importation assez importante de main d’œuvre. Ce choix, dont le point de départ « officiel » est l’accord avec les autorités portugaises il y a plus de 50 ans, comme l’a étudié en partie le Docteur en Histoire Thierry Hinger, a emmené le pays à une situation unique dans l’union européenne où la moitié des résidents (barrière symbolique qui n’est atteint qu’en conséquence de révisions successives de la loi sur la nationalité) et les trois quarts des travailleurs n’ont pas le droit de vote – nous avons donc un quart de la force de travail à décider sur un budget auquel les autres trois quarts sont aussi contributeurs.

Mme le Ministre reprend, dans le premier paragraphe de sa lettre, le slogan de l’ASTI, en se limitant malheureusement à sa première partie : vivre ensemble. (L’ASTI défend de « Vivre, travailler et décider ensemble ».) Nous pouvons prendre comme définition opérationnelle de ce qui est l’intégration ce précis slogan de l’ASTI, le groupe de ces trois activités : vivre, travailler et décider. Une politique d’intégration doit, forcement, agir sur ces 3 axes qui se répandent sur tous les domaines de la société, et, donc, de la gouvernance du pays. Et c’est pour cela que la seule façon d’adresser la question des étrangers au Luxembourg est de les inclure, et ceci à tous les niveaux de la société tout en prenant compte les difficultés que rencontre cette masse hétérogène d’étrangers au Grand-Duché du Luxembourg.

Je me permets de faire, avec une très grande conscience des différences, une comparaison visant à illustrer le niveau d’inclusion nécessaire : permettons-nous, avec toute la distance et tout le respect nécessaire, de penser à l’étranger comme à une personne handicapée. L’objectif de la société est de permettre à la personne atteinte d’un handicap de vivre, le plus possible, comme une personne sans handicap. L’étranger doit pouvoir jouir de ce même effort visant à assouplir les difficultés de se trouver dans un pays qui n’est pas le sien et qu’il ne connaît guère – au moment d’y arriver, bien évidemment, mais, pour les classes socio-économiques les plus démunies, également après pas mal d’années de vie au Luxembourg.

Je voudrais vous donner un exemple plus pratique de ceci en reprenant les mots que Mme Le Ministre a prononcés lors de sa participation dans le débat organisé par l’ASTI sur les résultats du MIPEX : Il y a des gens qui n’ont pas la capacité d’apprendre une langue dans une salle de classe de façon « traditionnelle ». Il faudra, donc, veiller à ces besoins. Nous ne pouvons pas nous adresser aux différents besoins des étrangers avec une seule recette. Reprenant l’exemple des handicaps, nous ne pouvons pas adresser les besoins d’une personne aveugle ou d’une personne dans un fauteuil roulant avec une même mesure d’inclusion. Plus court : l’étranger ne doit pas ressentir que sa situation l’empêche de se sentir chez lui dans un pays qui est aussi le sien.

Ces besoins spécifiques des étrangers, voire spécifiques à chaque étranger, sont si divers que nul ne peut envisager de les connaître ou représenter tous. La façon elle-même dont les étrangers ressentent leurs besoins et la façon de les combler n’est sûrement pas unique ni apte à l’uniformisation. Ceci est bien visible dans la myriade d’associations d’étrangers existant au Luxembourg et la façon variée dont ces associations s’organisent et relationnent entre elles, dans des cercles de coopération, tables rondes ou fédérations. Ces associations sont plus capables de ressentir et de comprendre cette spécificité et cette multitude de besoins.

Toute politique du gouvernement, qu’il soit au niveau nationale ou locale, devra viser l’inclusion et non pas l’intégration. L’intégration (lire action de placer à l’intérieur) ne résoudra pas les problèmes « d’étrangeté » qu’on essaie de surmonter par l’assimilation, en poussant l’étranger à obtenir la nationalité : deviens un de nous, deviens comme nous ! Tandis que l’inclusion fait de l’étranger un membre (stakeholder pour prendre un mot à la mode) de plein droit de la société et du pays qu’il a, pour quelle raison que ce soit, choisi pour y faire partie et contribuer à son développement et où, on ne le dira jamais asset, il contribue avec trois quarts de force de travail et, en abstrait, de la production du pays.

Cette inclusion est, à présent, un échec. Échec surtout parce que la classe politique ne semble pas être capable de comprendre celui qu’elle a invité dans son pays en conséquence du modèle de croissance économique mis en place. Le RED22, produit par le CEFIS à la suite des élections communales de 2017, permet de bien soutenir cette affirmation. Parmi les 3.575 candidats qui se sont présentés aux dernières élections locales il n’avait que 270 n’ayant pas la nationalité luxembourgeoise (ceci correspond à 7,5% des candidats, alors que leur poids dans l’électorat est de 12% – sachant que ce poids serait de 38% si tous ceux ayant le droit de le faire étaient inscrits pour voter). Néanmoins les étrangers n’ont élu que 15 conseillers communaux (parmi 1119 élus – 1,3% du total). Nous pourrions dire que, vu le système électoral luxembourgeois, où nous pouvons choisir directement la personne que nous aimerions voir élue, ce résultat serait dû au fait que ces candidats ont eu moins de succès dans la mobilisation de l’électorat. Sauf que, le taux de succès des candidats étrangers (ceux élus parmi ceux qui se sont présentés comme candidats) n’est pas uniforme selon la typologie électorale des communes : majoritaire vs proportionnelle. Dans les communes ayant le suffrage majoritaire, où les candidats se présentent sans le soutien d’un parti politique, le taux de succès est 15x plus grand que dans les plus grandes communes – 32% (10 élus sur 31 candidats) vs 2% (5 sur 239). Il faut remarquer que le taux de succès électoral des étrangers dans les communes à scrutin majoritaire est similaire à celui de l’ensemble des candidats ayant la nationalité Luxembourgeoise pour tout le pays (31%). Le fait que les mécanismes de promotion politique soient différents dans les communes plus petites n’explique pas tout, surtout sachant qu’il n’y a que 10 communes à plus de 10.000 habitants, et seulement 4 à plus de 10.000 électeurs (chiffres de 2017).

Dans la même conférence sur les résultats du MIPEX, le Dr. Thomas Huddleston a fait remarquer le problème de la communication avec l’autre (soit l’étranger, soit celui moins doué dans le langage bureaucratisé de l’État et des grandes institutions). Et il est ici que les associations d’étrangers ont un rôle très important à jouer. Un réseau actif d’associations d’étrangers permet d’optimiser le contact avec les étrangers, pas seulement dans leur langue, mais aussi dans leur langage.

Dans l’optique d’une responsabilité partagée pour les décisions politiques, au-delà de l’exercice du pouvoir, il y a aussi tous les mécanismes de contact avec la population, dont, outre les associations, il faut mentionner les commissions communales consultatives, notamment celles dédiées à l’intégration. La piste déjà annoncée par Mme Cahen de ressortir le CNE des CCCIs est teintée d’un double manque de légitimité. D’abord, les CCCI sont le résultat des arrangements inter-partidaires (les mêmes partis qui n’arrivent pas à donner leur place aux étrangers) et très peu parmi ces commissions jouent un rôle vraiment consultatif, misant surtout sur les braderies et autres événements récréatives au niveau communal. Ceci pour ne pas mentionner que, sûrement, plus de la moitié des CCCI n’ont aucune activité visible. Le CNE serait donc le reflex de la volonté politico-partidaire urbaine. Ce qui nous ramène à la question de la légitimité de la représentation de ces deux organes créés pour faire participer l’étranger – cet homo politicus mystérieux – aux décision du pays.

Revenons sur le slogan de l’ASTI – vivre, travailler et décider ensemble – et projetons ces mots sur la réalité. Cet ensemble ne pourra jamais signifier dans l’uniformité, mas les uns à côté des autres. Pour y arriver il faut considérer trois voies d’inclusion : la compréhension du pays d’accueil, le confort procuré par la compagnie de gens de la même nationalité, et la légitimation des organes de pouvoir et/ou de consultation disponibles aux étrangers. Une réforme de la loi dite sur l’intégration doit viser l’inclusion des étrangers et doit se pencher sur :

  1. Le droit d’association et le soutien conséquent de cette expression autonome et spontanée des populations par l’État – de la même façon que nous n’avons pas seulement un parti, une religion, ou un syndicat il n’est pas justifiable d’avoir une seule organisation parapluie représentative de toute cette masse hétérogène que sont les étrangers. Puis, l’appui devra avoir en tête que ces associations d’étrangers ont des capacités et d’objectives assez différentes et il faut créer des lignes d’appui aussi pour les plus petites.
  2. Le CNE doit rester l’organe chargé de représenter la voix des étrangers, et ceci ne peut se faire que si l’organe est élu par les associations d’étrangers – les organisation qui comblent déjà ce rôle d’interface entre les pays (parmi tous ces organismes administratifs et de pouvoir) et les étrangers qui les constituent. Il serait possible, néanmoins, d’envisager une participation des CCCIs dans le CNE, à condition que celles-ci ne soient plus le résultat de jeux politiques des partis au conseil communal mais que, au moins ses membres étrangers, puissent être élus directement au moment des élections communales.
  3. Une participation citoyenne et politique ne peut se faire que dans la compréhension de la société en place. Les organes de communication sociale en langue étrangère sont le moyen idéal de cette participation – non seulement par facilité de lecture pour les étrangers mais aussi par un sens d’identification au véhicule du message informatif.
  4. Ce dernier point n’invalide pas le besoin de comprendre le pays dans sa langue – un effort significatif doit être mis en œuvre pour donner la possibilité à tous ceux qui le souhaitent (malgré leur statut socio-économique et/ou profil académique), d’apprendre la langue luxembourgeoise.

Pour une inclusion réussie il faut donc veiller à inclure dans ce débat les lois sur la langue, les associations, le CNE, et les CCCI. Et il faudra repenser l’approche de l’État en ce qui concerne sa façon de communiquer (dans les deux sens) avec les étrangers : c’est aux étrangers aussi de choisir, librement, la façon dont ils veulent s’organiser pour participer à la vie de ce pays qui est aussi le leur.